Peut-on dire que la Suisse est un État laïque alors que la Constitution fédérale commence par la phrase : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! » ?
Peut-on dire que la Suisse est un État laïque alors que la Constitution fédérale commence par la phrase : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! » ?
Réponse
Bonjour,
Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :
Tout d’abord, concernant la phrase « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! » à laquelle vous faites référence et qui figure dans le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, le pasteur Daniel Guex répondait le 17 juin 2005 à une interrogation similaire à la vôtre sur le site Question Dieu - un service des églises réformées de Suisse : « Que signifie une référence à Dieu dans la constitution d'un pays? » :
« Un grand nombre de pays contiennent dans leur constitution une référence à une entité supérieure: Dieu ... l'Être Suprême ... le Créateur ... Par-là, il ne s'agit pas d'obliger les citoyens à croire en Dieu, ni même d'affirmer quelque chose de désirable. […] Il ne s'agit pas non plus de garantir la pureté et le bien-fondé des institutions, je dirais même AU CONTRAIRE : cette référence signifie : "Nous autres êtres humains qui vivons dans ce pays, nous essayons de faire en sorte que la vie soit possible, que les relations entre nous soient les plus justes possible, mais ces institutions ne sauraient prétendre être les maîtres absolus de la vie sociale. Il y a donc des problèmes que nous ne pouvons pas résoudre..."La référence à un "absolu qui est ailleurs" est en fait un aveu d'impuissance.
Nous pouvons donc la considérer comme un signe d'humilité, d'ouverture à une autre dimension de la vie, à un mystère. Une référence à un absolu est comme un point d'interrogation qui pose un doute sur la perfection absolue de nos institutions.
Elle devrait donc nous préserver du totalitarisme. »
Outre cette phrase, la Constitution fédérale fait peu référence à la religion, ce qui montre que ce document reste laïque. L'article La Confédération doit-elle en faire plus en matière de religion ?, publié le 12 septembre 2023 sur le site Swissinfo, précise en effet ceci :
« La Constitution fédérale a beau commencer par une référence divine (Au nom de Dieu Tout-Puissant !), elle ne traite guère de religion. Seuls deux articles y font spécifiquement référence, l’un (art. 15) pour établir la liberté de conscience et de croyance et l’autre (art. 72) pour préciser que la réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons. »
Jacqueline Grigo, spécialiste des religions, anthropologue sociale et culturelle et chercheuse associée à l’Université de Zurich précise à ce sujet, en introduction du billet La liberté de qui ?, paru le 15 juin 2023 sur le blog du Musée national suisse :
« La Suisse se considère comme un État laïque qui garantit la liberté de religion au niveau constitutionnel. La liberté de religion repose sur la neutralité de l’État. Aussi, la séparation des sphères privée et publique constitue la base sociétale des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Comme Mader et Schinzel l’écrivent, les droits fondamentaux engagent à leur tour l’État à "ne restreindre les capacités individuelles au libre épanouissement que dans la mesure où cela est opportun, nécessaire et personnellement acceptable dans l’intérêt supérieur de la société, c’est-à-dire dans l’intérêt ‹public›." En retour, l’État doit veiller à circonscrire les pratiques douteuses discriminatoires ou portant atteinte aux droits d’autrui et exercées sous prétexte de la liberté de religion.
En effet, de manière plus pragmatique, la Suisse, en tant qu'état fédéral, laisse le soin aux cantons de régler la relation entre les communautés religieuses ou les Eglises et l’Etat. Cela veut dire qu’il existe en Suisse 26 manières différentes de la régler. Par exemple, le Canton de Genève est un canton laïque comme l’indique l’article 3 de sa constitution : « L’Etat est laïque. Il observe une neutralité religieuse. » Elle prône toutefois, dans son article 25, la liberté de conscience et de croyance « 2. Toute personne a le droit de forger ses convictions religieuses ou philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté. »
Pour en savoir plus sur ce sujet, vous pouvez prendre connaissance de l'article Les 26 régimes différents de la Suisse religieuse, publié le 9 juillet 2007 sur Swissinfo.
Pour revenir à la Constitution fédérale, sachez qu'il a été un temps question de supprimer cette phrase du préambule. L'article du journal Le Matin, paru le 26 février 2022, nous apprend que « Au nom de Dieu Tout-Puissant » devrait rester dans la Constitution :
« Une commission du Conseil national a voté en majorité contre la suppression de la mention du divin dans le préambule du texte fondateur des lois suisses. […]
Or ce n’est pas par adhésion à l’Église que les élus ont souhaité conserver la mention divine: "La commission considère l’invocation dans le préambule comme un signe d’humilité, car personne ne peut se prévaloir d’être tout-puissant. Elle constitue un élément traditionnel de la Constitution qui ne doit pas être compris dans un sens chrétien strict", écrit-elle dans son communiqué publié vendredi. »
À noter, que la croix fédérale figurant sur le drapeau suisse est également à l'origine un symbole chrétien. De nos jours, ce symbole a perdu sa connotation religieuse et est devenu un des symboles de la Suisse.
Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.
Cordialement,
Service de référence en ligne des bibliothèques de la Ville de Genève