Pourquoi y a-t-il quatre Évangiles et pourquoi comportent-ils des différences ?

Pourquoi y a-t-il quatre Évangiles et pourquoi comportent-ils des différences ?


Réponse

Bonjour,

Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :

Pour trouver la réponse à votre question, vous pouvez lire l’article Comment (et par qui) le souvenir de Jésus a-t-il été transmis après sa mort ? de Daniel Marguerat, historien et professeur de théologie protestante à l’Université de Lausanne, paru le 31 mars 2024 sur le site du journal Le Monde. On y lit notamment ceci :

« Jésus de Nazareth est mort sans rien avoir écrit. Les quarante années qui séparent sa crucifixion de l’écriture du plus ancien Evangile, celui de Marc, constituent l’époque la plus obscure du premier christianisme.

Comment le souvenir de Jésus a-t-il été préservé ? Par qui ? La transmission de sa mémoire a-t-elle été laissée à l’initiative des témoins ? A-t-elle été orientée ? Comment ? Et pourquoi un Evangile n’a-t-il pas suffi, puisque trois autres sont apparus (et même plus, si l’on compte les Evangiles non retenus dans le Nouveau Testament) ?

La solution la plus simple, semble-t-il, est de penser que quatre disciples (Marc, Matthieu, Luc, Jean) auraient gardé, chacun à sa manière, le souvenir de ce qu’ils ont vu et entendu. Cela expliquerait les dissemblances entre leurs Evangiles, qui tantôt se rejoignent, tantôt divergent, jusqu’à se contredire. Or, cette solution" simple" ne l’est pas ! D’une part, ni Marc ni Luc n’ont été disciples de Jésus. D’autre part, comment imaginer des écarts aussi considérables entre des témoins qui auraient assisté aux mêmes événements ? Il faut donc scruter l’obscurité à la recherche de solutions moins simples, mais plus fiables. Et là, si les chercheurs ont parfois de bonnes réponses, des incertitudes demeurent néanmoins.

On l’oublie souvent : le plus ancien témoignage sur Jésus émane de Paul de Tarse. L’apôtre a écrit sept épîtres entre l’an 51 (1 Thessaloniciens) et l’an 58 (Romains). Problème : il dit très peu de la vie de Jésus. Ses références au Nazaréen se focalisent sur la croix et la résurrection. […] En réalité, nous ne possédons aucune trace de la première prédication de l’apôtre, son message missionnaire. Ses lettres datent de la fin de sa vie. Il n’y répète pas ce qu’il a déjà dit, mais se concentre sur ce qu’il estime essentiel : la croix et Pâques. Il faut donc chercher ailleurs des traces plus importantes.

Marc fut un pionnier. Il a inventé un genre d’écrit qui n’existait alors pas, à mi-chemin entre la biographie et l’histoire religieuse. Matthieu l’a nommé, après lui, "Evangile". Comment Marc a-t-il procédé ? En scrutant son texte, on aperçoit qu’il se compose d’une cascade de microrécits : une parole, une parabole, un miracle, un récit de rencontre… […]

Pourquoi les premiers chrétiens ont-ils mémorisé les souvenirs que leur transmettaient les témoins de la vie de Jésus ? Ces croyants n’avaient pas une mentalité d’archivistes. Ils n’avaient pas l’intention, ni d’ailleurs les moyens, d’archiver les faits et gestes de Jésus. Ils ont voulu préserver ce qui, des paroles et des gestes du maître, faisait sens dans leur vie. […]

Figer la tradition, c’est embaumer le passé. Adapter la tradition, c’est lui préserver sa pertinence dans le présent. Donc, lorsqu’il le fallait, les paroles de Jésus ont été transformées pour s’appliquer au nouveau contexte dans lequel elles étaient remémorées. […]

On comprend dès lors pourquoi un seul Evangile n’a pas suffi. Il a fallu réécrire l’Evangile de Marc. Matthieu et Luc s’y sont employés dans les décennies suivantes. Marc a compilé son Evangile probablement autour de l’an 65.

Dans les années 70-80, Matthieu réécrit l’Evangile. Il s’inspire de Marc, qui constitue sa source principale et dont il reprend la structure. Mais il étoffe puissamment ce premier écrit en y insérant l’enseignement du maître. […]

Jusqu’en 1960, on a considéré les évangélistes comme des compilateurs, agençant les bribes de textes que leur livrait la tradition sous forme orale et écrite. En gros, on pensait que leur génie était celui de collectionneurs. Or, on s’est rendu compte que leur compilation ne s’est pas faite au hasard, mais qu’elle traduit une volonté de profiler théologiquement la figure de Jésus. Plus que des collectionneurs, ce sont des artistes.

Chaque Evangile est le miroir de la chrétienté de son temps. Ainsi, Marc a focalisé son récit sur la mort de Jésus, décidée dès le début par ses adversaires. La croix est le point culminant de sa vie, révélant qu’il était fils de Dieu. Matthieu suit un autre chemin : Jésus est le messie envoyé à Israël, conformément aux prophéties de l’Ancien Testament. Son enseignement consiste à réinterpréter la Torah, la loi de Moïse, en recentrant toutes ses prescriptions sur l’impératif d’amour du prochain. Matthieu insiste sur le drame que constitue le rejet par Israël d’un messie qui lui était pourtant destiné.

Alors que Matthieu s’adresse à une Eglise en lien fort avec le judaïsme synagogal, Luc, dans les années 80-90, destine son Evangile à des croyants de culture grecque. Le programme qu’il déploie (Jésus est le sauveur envoyé par Dieu pour sauver l’humanité), son action compatissante (les miracles) et son accueil de tous les hommes, justes ou pécheurs, préfigurent un christianisme ouvert à l’universalité humaine. Chacun configure la tradition de Jésus en vue d’orienter l’avenir de sa communauté.

L’Evangile de Jean apparaît plus tard, dans les dernières années du Ier siècle. Il est le fruit d’une méditation théologique au sein d’une école placée sous le patronage de l’apôtre Jean.

La tradition de Jésus s’est donc déployée en quatre écrits biographiques, auxquels se joindront, dès le début du IIe siècle, des Evangiles qu’on dira "apocryphes", issus de chrétientés marginales. Si l’on compare les quatre Evangiles du Nouveau Testament, on est saisi de leur double effort. D’une part, ils veulent restituer fidèlement la mémoire des témoins (bien des paroles de Jésus se retrouvent verbatim chez Marc, Matthieu et Luc). D’autre part, ils innovent en déployant leur propre vision de Jésus, une vision profilée, qui les conduit à sélectionner les éléments de la tradition, à en éliminer d’autres, à les commenter, à les amplifier. Leur récit n’est pas un mausolée littéraire, mais le portrait actualisé d’un seigneur dont ils veulent faire saisir l’actualité à leur communauté. »

Daniel Marguerat est également l’auteur de l’ouvrage Vie et destin de Jésus de Nazareth dont nous vous recommandons la lecture.

En complément à cet article, vous pouvez lire la réponse du site Regards protestants à la question « Pourquoi y a-t-il quatre évangiles ? ».

Vous pouvez également lire l’article Les quatre évangélistes, paru le 10 septembre 2020 dans le journal catholique La Croix qui analyse brièvement les quatre évangiles.

Enfin, vous pouvez écouter l’entretien avec Françoise Ladouès, historienne des religions et spécialiste d'anthropologie religieuse qui répond aussi, dans le cadre de l’émission B. A. -BA du christianisme diffusé sur la Radio chrétienne francophone (RCF) en août 2021, à la question  « Pourquoi y a-t-il 4 évangiles ? ».

Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.

Cordialement,

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  • Dernière mise à jour 03/04/2025
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