Au début du 20e siècle, les gens avaient-ils moins froid que nous ou avaient-ils un style de vie qui les protégeait du froid ?

Au début du 20e siècle, les gens avaient-ils moins froid que nous ou avaient-ils un style de vie qui les protégeait du froid ?
 


Réponse

Bonjour,

Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :

Le quotidien d'une personne vivant au début du 20ᵉ siècle pouvait être très différent selon où elle vivait (ville, montagne, en Suisse ou ailleurs ?) et selon son statut social (paysan, bourgeois,...). Vous trouverez ci-dessous des éléments de réponses générales qui peuvent donc évidemment être différentes selon les lieux et les personnes.

Pascal Acot, chercheur au CNRS et historien du climat, répond ainsi à la question « Supporte-t-on moins le froid qu’autrefois ? », dans l’article Sommes-nous plus frileux qu'autrefois ?, publié le 13 février 2010 dans Le Journal du Dimanche : « Oui, car nous y sommes plus sensibles. Les variations climatiques nous apparaissent désormais comme des phénomènes anormaux. [...] Notre environnement s’est complètement artificialisé. [...] il y a encore cinquante ans, dans les campagnes françaises, les chambres n’étaient pas chauffées. Les enfants faisaient leurs devoirs dans la cuisine, et on était bien content d’avoir une bouillotte et un bonnet de nuit. »

L'historien Renan Viguié nous apprend dans l'article 15, 19 ou 21 °C : « Le confort thermique est une construction sociale », paru le 1ᵉʳ septembre 2022 dans Le Nouvel Obs en ligne que :

« Le confort thermique est une construction sociale. Dans son livre Les délices du feu : l'homme, le chaud et le froid à l'époque moderne, l'historien Olivier Jandot cite un médecin du XVIIIe qui conseille, par exemple, que la température des chambres soit comprise entre 12,5 et 15 °C. Mais ces considérations se déploient surtout à partir du XIXe siècle. Avant l'invention et la diffusion du thermomètre, au XVIIIe, il était de toute façon assez difficile de savoir précisément quelle température il pouvait bien faire dans une pièce ! Au début du XXe siècle, des hygiénistes commencent à réfléchir aux normes de chauffage. Une clause de garantie est répétée dans des publicités, des revues d'architecture, des manuels pour les chauffagistes : il faut que l'installation de chauffage permette d'atteindre 18°C par moins 5 °C à l'extérieur. Il s'agit d'une température garantie par l'installateur et qu'il était a priori possible d'attaquer en justice. Un personnage joue un rôle assez important dans ce mouvement, c'est André Missenard, un polytechnicien qui publie dans les années 1940 le Que sais-je ? sur le chauffage des habitations. Il se distinguera en tenant des propos à relents misogynes : si l'on chauffe davantage, c'est parce que, hélas, les femmes s'habillent trop légèrement, et l'on va ramollir les corps et affaiblir la civilisation, etc. [...]

On lit aussi très souvent, dans des manuels de "savoir-vivre", qui se répètent et se copient tout au long du XX siècle sans que l'on puisse retrouver précisément l'origine de toutes ces codifications, que les températures doivent différer selon les pièces : on chauffe moins la chambre, et beaucoup la salle de bains, et pas du tout la cuisine ou les couloirs pour créer des microchocs thermiques qui sont jugés bons pour la santé. [...]

L'élévation de la température de confort, de 15 à 19 voire 20 °C, accompagne les Trente Glorieuses. On joue alors sur un motif déjà visible dans les années 1920 quand la Compagnie nationale des Radiateurs diffusait des catalogues avec des slogans tels que "C'est le printemps perpétuel chez soi" ; "Créer un petit Midi à domicile" ; "Jouir perpétuellement du suave climat de l'île de Calypso". Le confort, c'est être en t-shirt à l'intérieur alors qu'il était courant dans les siècles précédents, que décrit Olivier Jandot, de se couvrir en rentrant chez soi ! On voit ici qu'il est difficile de définir le confort thermique : est-ce une température précise ou la création artificielle d'une saison dans son intérieur ? »

Olivier Jandot était l'invité, le 2 janvier 2023, de l'émission La tête au carré de France Inter et répond aux questions sur la Petite et grande histoire du chauffage. Il explique ceci :

« La question du chauffage est une construction qui s'est faite depuis plusieurs siècles. L’idée de "température de confort" date de la fin du XVIIIᵉ siècle. À cette époque, on commence à réfléchir à la question du chauffage, car on est dans une période de crise énergétique. La rareté croissante du bois à cause des besoins de la marine, des besoins de l'industrie naissante font que le bois devient de plus en plus cher. Une partie de la population n'y a plus accès. Pour la première fois, on réalise des mesures de température. À l'époque, les médecins et les inventeurs considèrent qu'une température de 12 à 15 degrés chez soi est tout à fait acceptable, mais durant cette période personne ne se promenait en chemise chez soi. On portait un manteau fourré à l'intérieur de son habitation, on vivait au plus près du feu, on chauffait les corps et non les pièces. Ce n’est qu’à partir du XXe siècle que nous sommes passés progressivement à 20 degrés. »

Et il ajoute encore ceci concernant l'habillement : « Pendant longtemps, on trouvait dans les garde-robes des pièces d'habillement qui étaient faites pour l'intérieur comme des vestes matelassées, des robes de chambre qui étaient faites pour avoir chaud. Bossuet, par exemple, passait ses nuits à écrire avec deux vestes sur lui et les pieds dans un sac en peau d’ours. Finalement, les préconisations de Bruno Lemaire pour porter un col roulé ne sont pas si risibles. Pour Olivier Jandot : "Finalement, on invente rien, on rappelle simplement une notion qui a été une évidence pendant un siècle." C’est une construction sociale qui s’est faite au fil des hivers. »

Olivier Jandot explique encore, dans son article Éléments d’histoire des climats intérieurs, paru le 13 décembre 2019 dans le magazine D'architecutres, que « Jusqu’au tournant des XVIIIe-XIXe siècles, la cheminée règne quasiment sans partage dans les habitations françaises. [...] Dans ces conditions, les températures intérieures étaient extrêmement contrastées. Elles déclinaient irrémédiablement dès qu’on s’éloignait du foyer, d’où la nécessité de venir se chauffer au plus près des flammes. Les contrastes thermiques à l’intérieur de l’habitation étaient saisissants : il était courant qu’il gèle l’hiver dans les chambres à coucher, généralement pas chauffées. Au milieu des courants d’air, les accessoires tels que les chaufferettes portatives, les bassinoires ou les vêtements d’intérieur fourrés permettaient de lutter contre l’obsédante morsure du froid. Accoutumés à l’inconfort permanent, les corps se satisfaisaient de températures intérieures relativement basses au regard de nos exigences contemporaines. La température de confort était alors de l’ordre de 14 à 15 °C. Une chaleur intérieure de 19 ou 20 °C était jugée excessive et incommodante. »

L’ouvrage La Suisse au tournant du siècle : souvenirs du bon vieux temps précise que la dépense pour habillement du ménage de l’ouvrier de textile est à 11,4% et celle de la famille de l’instituteur est à 13,3%. En comparaison, la dépense actuelle estimée dans la proposition de budget de la Fédération romande des consommateurs (FRC) est de CHF 80 mensuels pour un revenu de CHF 3000 soit 2,6%.

Et concernant la dépense pour le chauffage et l'éclairage, on y apprend que le ménage d'un ouvrier textile dépense 4,1% alors que celle de la famille d'instituteur 31,1%. Il évoque également les conditions de logement pour les ouvriers.

Le 12 décembre 2022, Le Nouvel Obs en ligne publiait l'article Vous avez froid ? Nos ancêtres ont des conseils qui montre par quelques exemples comment les gens combattaient le froid par le passé :

« Dans Les délices du feu, l'historien Olivier Jandot rappelle que l'aménagement des habitations a longtemps répondu à un impératif : conserver la chaleur. Ainsi, les alcôves, ces enfoncements où l'on disposait des lits ou des tentures, qui ont presque disparu de nos logements modernes, n'avaient pas tant pour vocation de favoriser les rapprochements que de se préserver du froid en minimisant le volume à chauffer. [...] Sur de nombreuses scènes picturales d'avant le XXe siècle, on remarque que les gens et les activités avaient tendance à se regrouper dans une même pièce. Jusqu'à une période récente, il n'était pas absurde de se laver dans la cuisine, où se dégageait la chaleur des cuisinières, ou même d'y dormir. [...] Il [...] était [...] courant de dormir à proximité des bêtes, parfois même dans l'étable. En plus de profiter de la chaleur corporelle des animaux, cela permettait, aussi, de ne pas avoir à se déplacer la nuit pour les nourrir. Dormir avec des [...] humains était une pratique toute aussi répandue, qui a pareillement rebuté les hygiénistes : "Des médecins se plaignent que dans les familles ouvrières tout le monde dort dans une même pièce, ce qui facilite la propagation des maladies", souligne Renan Viguié. Ce sont les hygiénistes [...] qui ont commencé à s'inquiéter de ces pratiques jugées malsaines et qui ont insisté sur la nette séparation entre l'habitat humain et l'habitat animal. [...] »

Concernant l'habillement, cet article ajoute : « C'est un dicton populaire connu : pour se prémunir du froid, il faut multiplier les couches. En termes plus chics, on dit les "enveloppes concentriques". On pense aux vêtements, bien sûr, mais on trouve aussi, dans les récits du XXe siècle, beaucoup de témoignages qui concernent le papier journal. [...] Le bonnet de nuit, en revanche, n'apparaît que très peu dans l'iconographie qu'a pu rassembler l'historien Renan Viguié sur le début du XXe siècle. Est-ce à dire que c'est une création moderne ? Un objet de conte ? Ce qui est certain, c'est que le pyjama intégral a progressivement perdu de sa superbe à mesure que le chauffage central se généralisait. Le bonnet de nuit, lui, s'est perdu, ou bien n'a jamais vraiment pris. [...] Tout le monde a en tête la bouillotte, mais aussi la bassinoire en cuivre (également appelée chauffe-lit) : une sorte de grande pelle dans laquelle on mettait des cendres avant de passer le tout entre les draps (en essayant d'éviter l'incendie). [...] Encore fallait-il disposer d'un feu et de braises, ce qui en faisait une pratique plutôt rurale au début du XXe siècle, estime Renan Viguié.

Vous pouvez par ailleurs prendre connaissance des articles « Chauffage » et « Habillement » du Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) pour en savoir plus sur l'histoire de ces sujets et leurs évolutions en Suisse.

Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.

Cordialement,

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  • Dernière mise à jour 21/01/2025
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