Depuis quand et comment a-t-on attribué le genre masculin et féminin aux mots dans la langue française ?
Depuis quand et comment a-t-on attribué le genre masculin et féminin aux mots dans la langue française ?
Réponse
Bonjour,
Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :
La question que vous posez a trait à la linguistique, domaine pour le moins complexe. Nous vous proposons donc ci-dessous quelques sources qui devraient vous permettre de pousser plus loin vos connaissances sur le sujet.
Disponible sur le site d'EOLE Education et ouverture aux langues à l'école, l’article Le genre à travers quelques langues propose une introduction qui pourrait être utile avant d’aller plus loin :
« Le terme "genre" vient d’un mot latin très général qui signifie classe ou type (genus) ; dans la grammaire du grec et du latin on trouvait trois genres (féminin, masculin, neutre) qui étaient les trois grandes classes nominales de ces langues. Dans la plupart des langues qui ont un genre, il y a un certain fondement sémantique et naturel à cette classification (par exemple : la poule ; le coq). Il est cependant très fréquent, du moins dans les langues indo-européennes, que le genre naturel (sexe) et le genre grammatical ne correspondent pas et le genre de la majorité des mots reste arbitraire. Par ailleurs, le genre n’est pas nécessairement fondé sur le sexe, mais peut aussi l’être sur la forme, la texture, la couleur, bref sur n’importe quel ensemble de propriétés naturelles qui détermine des classes (cf. langues à classes nominales tel le swahili). [...]
Les langues à deux genres
Parmi d’autres, les langues romanes, distinguent deux genres : le féminin et le masculin. A l’exception des substantifs représentant des êtres humains ou animaux domestiques, la répartition entre féminin et masculin est purement grammaticale et arbitraire. Il n’existe pas de règles systématiques autres que celles de l’usage, qui permettent de prédire a priori le genre d’un nom. »
Partant de cela, voici ce que nous apprend l’article Pourquoi n'existe-t-il pas de genre neutre en français ? publié le 25 novembre 2021 sur le site de la radio France Culture :
« Les ancêtres du français avaient ainsi un genre neutre, rappelle le linguiste Andrea Valentini, directeur du département Littérature et Linguistique françaises et latines à la Sorbonne-Nouvelle : “Si le latin est la langue mère du français, l'indoeuropéen est la langue "grand-mère" du français. Or, dans cette langue-là, qui n’était pas tant une langue qu’un ensemble de dialectes dispersés, il y avait une distinction générique entre le genre inanimé et le genre animé. Le latin aurait hérité de cette langue le genre neutre, en distinguant par ailleurs, avec la plupart des autres langues indoeuropéennes, féminin et masculin.” [...]
Les langues romanes, tels que l’italien, l’espagnol et le français, perdent finalement le genre neutre en évoluant. “Il est très difficile de savoir à quel moment ont eu lieu ces changements, juge Andrea Valentini. Parfois, on estime que les sujets parlants ont simplement perdu le sentiment ou la notion du neutre, à partir d’une époque qui se situe entre le VIe et le VIIe siècle en Europe occidentale. Parmi les langues romanes, seul le roumain a conservé le genre neutre”. »
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de quelques articles ci-dessous traitant du genre dans la langue française.
L’article disponible en ligne de Jean-Philippe Watbled Linguistique du genre publié en 2012 dans Genre et dynamiques interculturelles : la transmission indique :
« Le langage naturel nous permet de classer les êtres qui nous entourent, y compris nos semblables. L’un des paramètres de cette classification est le genre qui, se trouvant à la croisée des chemins de la nature et de la culture, est l’objet de représentations mentales et idéologiques, ce qui ne manque pas de susciter des débats, plus ou moins vifs selon les époques. »
Dans Les origines du genre grammatical publié dans Langages en 1987, l'auteure Patrizia Violi introduit son sujet comme suit :
« Cet article a l'intention d'analyser, à l'intérieur de la problématique plus générale de la sexuation du discours, un phénomène spécifique lié à l'existence de la catégorie linguistique définie comme genre grammatical. L'intérêt d'une telle analyse réside dans la question du lien intuitif, plus ou moins conscient et immédiat, entre le genre grammatical et la réalité extralinguistique de la différence sexuelle. Cependant, les modalités à travers lesquelles la donnée biologique naturelle, par sa nature extralinguistique et pré-sémiotique, est inscrite et représentée dans le système linguistique, ne sont pas toujours évidentes. De ce point de vue, il est intéressant de faire une relecture des analyses élaborées par la théorie linguistique sur cette catégorie particulière. En effet, les linguistes ont généralement traité le genre en termes d'ordre grammatical, immotivé et arbitraire, indépendamment de toute forme d'attribution de valeur. Contre cette position, mon intention est de soutenir que, au moins dans le cas du genre, la catégorie grammaticale s'appuie sur une base sémantique, ou, en d'autres termes, qu'elle existe parce qu'elle a une signification qui renvoie à un ordre déterminé, motivé et lié aux bases de notre expérience corporelle. Le langage, loin d'être un système purement abstrait, organisé selon la forme logique d'un code, est, dès sa structure grammaticale, conditionné, sujet à des déterminations d'autre nature. Il inscrit en lui-même certaines dimensions essentielles de notre expérience, comme la différence sexuelle. »
L’article Comme son nom l'indique… de Marie-Anne Lescourret publié en 2010 dans la revue n°44 Cités indique quant à lui :
« Origine des mots, nature des choses
Platon y avait pensé, qui se posait la question de la vérité du langage. Il y répondait par l’alternative de la substantialité de la dénomination ou son conventionnalisme. Il avait compris ce qu’il y a d’ontologie – "une certaine désignation de l’être" – dans le rapport du mot à la chose, dont, plus sage que ses successeurs des Lumières européennes, en France et en Allemagne, il n’interrogeait pas l’origine divine ou humaine, rationnelle ou passionnelle. Peut-être pressentait-il que le langage n’est pas seulement l’instrument de la connaissance du monde mais aussi celui de sa construction. […]
Les grammairiens et les philosophes des Lumières ne contestent pas que le féminin et le masculin grammaticaux renvoient à la dichotomie sexuelle, mais à la différence de leurs prédécesseurs, tel Isidore qui y inscrivait la misogynie chrétienne, ils n’y voient qu’un intérêt analytique. "Le genre masculin ou féminin dans un mot ne regarde pas proprement sa signification, mais le dit seulement de telle nature qu’il se doive joindre à l’adjectif dans la terminaison masculine ou féminine", affirment les grammairiens de Port-Royal. Il en ira de même pour Condillac. Certes, Arnaud et Lancelot admettent aussi que certains genres peuvent être attribués par "caprice" – ainsi l’arbre, féminin en latin est masculin en français –, ce qui est le cas par excellence du neutre, sans aucun rapport avec la nature des choses, tandis que la différenciation linguistique correspond parfois aux "offices" des uns et des autres, roi et juge pour l’homme, mère et épouse pour la femme… »
A ce sujet encore, voici ce que précise Nicole Pradalier dans on article Sexe et genre en français publié dans la revue de la Société internationale de linguistique fonctionnelle La linguistique en 2010 :
« Ce titre reprend les deux termes qu’avait employés André Martinet pour intituler un article paru dans La Linguistique, mais les inverse dans la mesure où le point de vue de l’être humain qui est naturellement homme ou femme (exceptionnellement androgyne) détermine sa réflexion (dans tous les sens du terme) sur l’objet. […]
Le genre étant une contrainte morphologique propre à certaines langues dont le français, il devient nécessaire de considérer son fonctionnement à partir des pôles que sont l’arbitraire et le motivé. […]
Ainsi le genre féminin et le genre masculin occupent le pôle arbitraire quand ils n’ont pas le trait sémantique d’être humain et se situent au pôle motivé par le trait sémantique de sexe quand ils concernent l’individu. »
Enfin, dans son article Sexe et genre féminin : origine d'une confusion théorique également publié dans la revue La Linguistique en 2007, Cécile Mathieu passe en revue plusieurs auteurs ayant traité de ce sujet :
« […] l’utilisation des termes féminin et masculin induit d’emblée la possibilité d’une motivation entre l’existence de marques formelles linguistiques et les traits de caractères féminins ou masculins. Selon cette conception on peut opposer deux types de points de vue. Celui qui soutient l’existence d’une motivation originelle à l’apparition d’un genre dans les langues, point de vue partagé par plusieurs linguistes du début du XXe siècle, dont Michel Bréal, Antoine Meillet, ainsi que Jacques Damourette et Édouard Pichon qui iront plus loin en postulant que la distinction sexuelle est toujours très vivace en français y compris dès lors qu’il s’agit de nommer ce qui nous semble être aujourd’hui des inanimés. Et celui qui envisage au contraire une répartition arbitraire des noms, parti pris par la théorie fonctionnaliste d’André Martinet. »
Nous vous encourageons à lire ces articles pour une compréhension optimale du sujet.
Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.
Cordialement,
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