Est-ce que le Brésil est un pays plus dangereux et violent aujourd'hui que durant la dictature militaire ?
Réponse
Bonjour,
Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :
Dans son article Le monopole étatique de la violence : le Brésil face à l´héritage occidental, publié en 2005 dans le document Dialogues franco-brésiliens sur la violence et la démocratie, Sérgio Adorno nous explique que « les premières statistiques officielles de la criminalité pour l’ensemble du pays ne sont apparues qu’à la fin des années 1990. » Depuis, la violence n’a fait qu’augmenter : « L’escalade de la violence et des crimes urbains depuis la seconde moitié des années 1970 n’est pas, comme on pourrait le supposer, un phénomène réservé aux grandes métropoles brésiliennes comme São Paulo et Rio de Janeiro. Certaines villes de taille moyenne, avec des populations de moins de cinquante mille habitants, ont également connu une forte croissance de la criminalité. »
Vous trouverez quelques chiffres dans le billet Images de la violence au Brésil du blog académique Braises ; chiffres basés sur L’Atlas de la violence 2017 publié par Institut brésilien de recherche économique appliquée (IPEA).
Angelina Peralva, dans l’article Perspectives sur la violence brésilienne, paru dans le numéro thématique Tensions brésiliennes de la revue Tiers-monde en 2001, explique ainsi cette augmentation de la violence : « La vague de violences que connaît le Brésil depuis vingt ans constitue un phénomène assez nouveau dans son histoire. Bien entendu, le pays n’avait pas vécu à l’abri de toute violence jusque-là. Mais celle qui s’est développée sous le couvert de la démocratie a atteint une intensité jamais connue auparavant et ses formes se sont aussi considérablement transformées. Alors que par le passé la violence émanait directement du système politique et de ses institutions, depuis la sortie du régime autoritaire elle s’est généralisée à l’ensemble de la société civile. L’importante élévation de morts violentes en est l’expression la plus grave et la plus préoccupante. [...]
L’Etat autoritaire a géré, avec des moyens autoritaires, une violence dont il a gardé peu ou prou le contrôle, et qui a toujours été, dans le cas du Brésil, relativement limitée. […] La démocratie a fait exploser la violence pour deux raisons principales. D’un côté, parce que les contrôles propres à l’autoritarisme se sont affaiblis, puis ont disparu, sans avoir été remplacés ; de l’autre parce que l’expérience démocratique, dès lors qu’elle a induit une modernisation de la vie sociale et une égalisation des conditions entre les individus, a du même coup multiplié les tensions et les conflits potentiels en son sein. La combinaison perverse de ces deux volets du changement explique pourquoi la dynamique de la violence s’est accélérée précisément au moment du retour de la démocratie. »
Mais il est impossible de comparer la situation actuelle avec la situation sous la dictature. Déjà, comme nous l’a écrit Sergio Ardono, nous ne disposons pas de statistiques pour cette période. Ensuite, la nature même du régime autoritaire implique la violence comme doctrine, selon Jeanne Menjoulet dans son article Brésil, retour sur la dictature de novembre 2018, disponible sur le site du magazine de sciences humaines et sociales Mondes sociaux :
« Les régimes dictatoriaux d’Amérique latine invoquent la lutte contre la menace communiste dans le cadre d’une doctrine, qui est la même partout : la "sécurité nationale". L’ennemi ne serait pas un ennemi extérieur mais un ennemi intérieur. Et n’importe qui peut être l’ennemi. D’où l’importance du "renseignement", qui doit être obtenu par tous les moyens. La torture est institutionnalisée comme pratique d’État, et enseignée dans les académies militaires. »
La violence sous la dictature existait, mais sous une forme différente, c’était une violence étatique. James N. Green en parle dans son article Paradoxes de la dictature brésilienne, publié dans le numéro thématique de 2014 Le coup d'Etat militaire 50 ans après de la collection Brésil(s) :
« La proclamation de l’Acte institutionnel no 5 le 13 décembre 1968, qui a fermé le Congrès, suspendu l’habeas corpus et, parmi d’autres mesures, a donné le feu vert à l’appareil de sécurité pour utiliser sans restriction la torture, a ouvert une nouvelle phase d’usage systématique de la violence d’État pour détruire des adversaires. »
Sérgio Adorno (déjà cité plus haut) précise qu'« A partir des années 1960, la participation d’organes fédéraux dans la conduite des politiques de sécurité et de justice menées par les Etats fédérés n’a cessé de s’accentuer. La surveillance préventive et démonstrative s’est militarisée, rendant toujours plus fréquentes les incursions policières arbitraires dans les rues, et surtout dans les habitations populaires à travers des opérations du type "tira da cama" ("arrache du lit"), effectuées sans autorisation judiciaire préalable. Au sein des commissariats et des divisions policières, tortures et mauvais traitements contre les prévenus et les suspects constituaient la routine quotidienne des investigations. D’autant plus que la période a été caractérisée par le durcissement de la "guerre" entre policiers et délinquants, à l’origine de la formation des escadrons de la mort et d’organisations paramilitaires impliquant policiers et civils avec l’objectif d’éliminer les malfaiteurs impliqués dans le trafic de drogues, la contrebande et le braquage de banques, aussi bien que de liquider les témoins susceptibles de les dénoncer à la justice. »
Pour en savoir plus sur la période de la dictature brésilienne, vous pouvez consulter (entre autres) les documents suivants :
- Brésil, une dictature (1964-1985) dans l'émission Concordance des temps diffusé le 2 mars 2019 sur France Culture
- Amérique latine : démocraties à l’épreuve par Alain Rouquié dans le n° 203 de la revue Le Débat en 2019
- La répression en chair et en os : les listes d’agents de l’État accusés d’actes de torture sous la dictature militaire brésilienne de Maud Chirio et Mariana Joffily, publié également dans le numéro thématique de 2014 Le coup d'Etat militaire 50 ans après cité plus haut.
Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.
Cordialement,
Les Bibliothèques municipales de la Ville de Genève
Pour www.interroge.ch